USA : Le déclin d'un empire

Publié le par François

Promouvoir à tout prix l'accession à la propriété de la classe moyenne (comme le souhaite N Sarkozy), pourrait avoir des effets désastreux. Cette politique est directement calquée sur celle de Bush qui a provoqué des dégâts importants aux Etats-Unis. L'article de Télérama montre à quel point les ménages américains sont dans une situation financière dépendante des organismes de crédit et que le système financier mis en place pourrait s'effondrer. Souhaitons que la politique du logement en France ne prenne pas la même voie.
 
TÉLÉRAMA
LE DÉCLIN D'UN EMPIRE
L’economie américaine va-t-elle s'effondrer ? 

La prospérité apparente des Etats-Unis ne masque plus la montée de l'endettement du pays et des ménages. Des chercheurs s'inquiètent de la chute possible de la première économie du monde.

 

 

 

 

 

Don't let the Jones get you down, ne laissez pas les Jones vous enfoncer, chantaient les Temptations en 1969. Plus précisément : ne cherchez plus à rivaliser avec vos voisins, ça fout votre vie en l'air, entre factures, tranquillisants, endettement... Qua­rante ans plus tard, les Jones sont en pleine forme : un mini-truck Nissan trône probablement devant la maison qu'ils ont achetée à crédit à l'orée du XXIe siècle et dont la valeur a augmenté de 40 % en quel­ques années. Citoyens types de la middle class américaine, les Jones sont d'autant plus confiants qu'ils vivent en Californie, dans ce que le prospectiviste français Jacques At­tali appelle le « neuvième coeur de l'ordre marchand»: Los Angeles a pris le relais de Bruges, Venise, Ams­terdam, Londres, New York.

 

 

Cela s'est joué sur dix ans : en 1971, une nouvelle entreprise, Intel, a mis sur le marché le microprocesseur; en 1976, le jeune Steve Jobs a créé l'Apple I, ordinateur individuel ; en 1979, des étudiants ont utilisé le réseau Arpanet de l'armée américaine pour échanger des données entre ordinateurs. On connaît la suite : les entreprises de logiciels - Microsoft, AOL, Oracle, Google - sont toutes californiennes. L'activité sur le Web constitue 10 % du profit mondial. Internet accélère aussi le dévelop­pement de la finance, qui supplante l'économie réelle : les transactions financières internationales repré­sentent désormais quatre-vingts fois le volume du commerce mondial !

 

 

Résultat : entre 1980 et 2000, pen­dant que l'Europe crée dix millions d'emplois, l'Amérique en crée qua­rante millions ! Et aujourd'hui, le niveau de vie des Américains est su­périeur de 30 % à celui des Européens. A ceux qui seraient tentés d'y voir les miracles de l'« ultralibéra­lisme », le consultant français Alain Villemeur rappelle que si main invisible il y a, ce n'est pas celle du marché, mais celle d'un Etat omni­présent. Dès 1982, le Small Business Act vise à assurer aux PME une part des marchés publics. Dix ans plus tard, Bill Clinton met en place l'in­formatisation de l'administration. « L'Etat intervient tous azimuts, rap­pelle Alain Villemeur, pour obliger les universités et les entreprises à col­laborer, pour orienter les recherches sur les sujets d'avenir, pour soutenir fortement le déploiement des nou­velles technologies, pour refuser une OPA jugée contraire aux intérêts américains. »

 

 

Mais alors, en prédisant en 2003, dans Après l'empire, la « décomposition du système américain », Emmanuel Todd aurait-il eu tout faux ? Rappelons sa thèse : en 1945, l’hégémonie américaine, d'abord bénéfique avec le plan Marshall, s'est installée avec l'accord d'une bonne partie du monde. Mais, obnubilés par leur lutte contre le commu­nisme, les Etats-Unis ont ouvert leur marché aux produits européens et japonais, sacrifiant de larges pans de leur industrie. La globalisation a fait le reste. Entre 1990 et 2000, le déficit commercial américain est passé de 100 à 450 milliards de dol­lars. Le monde produit pour que l'Amérique consomme. Pourquoi, dans ces conditions, le dollar ne s'ef­fondre-t-il pas ? Parce que l'argent du monde continue d'accourir vers les Etats-Unis, avance Emmanuel Todd. L'activité financière y est telle qu'« elle se suffit à elle-même », le profit peut y croître, « déconnecté de la sphère de la production réelle ».

 

 

N'empêche, pour l'auteur d'Après l'empire, la messe est dite : « Qu'est-ce que cette économie dans laquelle les services financiers, l'assurance et l'immobilier ont progressé deux fois plus vite que l'industrie entre 1994 et 2000 ? » Les services comptabilisés dans le PNB américain, sans valeur d'échange sur les marchés interna­tionaux, sont « lourdement suresti­més ». Conclusion : « Nous ne savons pas encore comment, et à quel rythme, les investisseurs européens, japonais et autres seront plumés, mais ils le seront. Le plus vraisemblable est une panique boursière d'une ampleur ja­mais vue suivie d'un effondrement du dollar, enchaînement qui aurait pour effet de mettre un terme au statut "impérial" des Etats-Unis. »

 

 

Cinq ans plus tard, la prédiction d'Emmanuel Todd ne s'est pas réa­lisée. Mais la situation financière de l'Amérique s'est encore aggravée, à cause d'un facteur que Todd n'avait pas prévu - l'émergence de la Chine - et de l'emballement du marché immobilier. Quel rapport entre les deux ? C'est justement ce que nous révèle, dans un fascinant ouvrage, l'anthropologue belge Paul Jorion, installé en Californie, où il est devenu spécialiste du crédit... Revenons aux Jones, puisque c'est d'eux, ces citoyens de la classe moyenne, que parle Paul Jorion. Comme les deux tiers des ménages (contre 40 % en 1945), les Jones sont devenus récemment propriétaires de leur maison. Enfin, pas vraiment : ils ont emprunté 80 % du prix et se sont tournés vers Fannie Mae, orga­nisme semi-gouvernemental qui a hypothéqué leurs murs. Fannie Mae, deuxième entreprise du pays, et son petit frère, Freddie Mac, garantissent à eux seuls pour 4 000 milliards de prêts immobiliers !

 

 

Comme tous leurs compatriotes, les Jones sont affublés depuis 1989 d'une cote de crédit, la « cote Fico », qui situe chaque consommateur en fonction de ses revenus et de son passé d'emprunteur - dettes, retards de paiement, saisies. Par chance, les Jones ont une bonne cote et ont donc obtenu un bon taux. Pour l'heure, on ne leur demande que de verser les intérêts, ils rembourse­ront le capital plus tard... Et comme ils n'ont pas d'économies, la banque leur a proposé un prêt à la consom­mation pour acheter leur Nissan en gageant le « capital captif dans les murs », c'est-à-dire leurs 20 % d'ap­port. La maison se retrouve ainsi entièrement hypothéquée, mais les Jones vont pouvoir l'équiper en mo­bilier chinois ! D'autant qu'on leur a aussi proposé en 2006, à côté de leur carte de crédit classique, une carte au taux moins élevé, mais ga­gée elle aussi sur la maison...

 

 

Bref, les Jones ont beaucoup plus de chance que les Sanchez. Eux, comme la plupart des Noirs et des Hispaniques, ont une mauvaise cote Fico et n'ont pu obtenir qu'un contrat « sub-prime », à un très mau­vais taux, mais sur... 125 % du prix de leur maison. Ils ont donc un « ca­pital propre captif négatif » ! C'est-à-dire une montagne de dettes.

 

 

Ainsi va l'Amérique de Bush :1 % de la population détient un tiers de la richesse du pays, cette infime proportion ayant bénéficié de la moitié de la richesse créée de 1990 à 2006. Les 50 % les moins riches n'en détiennent que 2,8 % : c'est pourtant ces gens-là que le gouvernement Bush a voulu rendre propriétaires, contribuant ainsi massivement à leur précarité. Insolvables, ils sont la proie de compagnies qui tirent parti de leur dénuement :900 000 sai­sies ont été effectuées l'an dernier.

 

 

Pendant ce temps, Freddie Mac a « empaqueté » les milliers de prêts hypothécaires de ces dernières années sous forme d'obligations, lesquelles sont à l'origine d'un nouveau marché financier, coté en Bourse. Et qui achète ces obligations ? Les Chinois, qui, non contents de soute­nir la dette du gouvernement amé­ricain en achetant les bons du Tré­sor, financent désormais de façon massive l'immobilier résidentiel. Pourquoi? « La Chine a encore be­soin de la locomotive que constitue la consommation des ménages améri­cains », répond Paul Jorion. Lesquels ménages ont une dette moyenne égale à 120 % de leur re­venu annuel. A ce niveau de suren­dettement, toute hausse des taux d'intérêt exposerait la moitié de l'Amérique à des difficultés finan­cières très sérieuses.

 

 

Dans son livre, écrit avant l'accélération de la crise immobilière, avant l'effritement du dollar et avant la montée des tensions sino-améri­caines, Paul Jorion cite Jeffrey A. Frankel, professeur à Harvard : « Quand les Orientaux se retireront de nos marchés, les Américains décou­vriront que les taux d'intérêt grim­pent et que la valeur des actifs (valeurs boursières, logements, sociétés) baisse. ' Lorsque d'autres pays ont subi des cri‑ses de ce type, leurs populations ont été prises de panique. » Pour Attali, la fin de l'empire américain ne se pro­duira «pas avant 2025». Mais les phénomènes qu'il décrit - désin­dustrialisation, hypertrophie de la finance, autonomisation d'Internet, crise écologique - semblent déjà bien amorcés. L'Amérique, rappelle

 

 

Emmanuel Todd, « s'est toujours dé­veloppée en épuisant ses sols, en gas­pillant son pétrole, en cherchant à l'extérieur les hommes dont elle avait besoin pour travailler ». Et en s'en­dettant... Une fois tournée la page désastreuse de l'ère Bush, saura-t-elle se sauver et engager à temp une indispensable révolution idéologique ? n VINCENT RÉMY

 

 

 

 

 

Vers la crise du capitalisme américain ? de Paul Jorion,éd. La Découverte, 254 p., 20 C.

 

 

Après l'empire, essai sur la décomposition du système américain, d'Emmanuel Todd, éd. Gallimard/ Folio, 6,60 €.

 

 

La Croissance américaine ou la main de l'Etat, d'Alain Villemeur, éd. du Seuil,150 p., 16 C.

 

 

Une brève histoire de l'avenir,

 

 

de Jacques Attali, éd. Fayard, 423 p.,20 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Articles de presse

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